Quand le ciel lourd et bas pèse comme un couvercle…
Ouais non.
Il faisait gris. Il faisait froid. Temps d’chien. Et ça m’faisait chier. Clairement. Mais j’avais pas l’choix que d’être là. D’vant la tombe d’la vieille. Onze piges qu’elle était partie, fauchée par un bête accident d’la circulation. Sale destinée. La suite avait été un calvaire pour moi. Et j’étais malheureusement d’venu un chien. Un sale clebs qui mordait sur tout l’monde ou presque. Un type qu’avait plus vraiment d’perspectives d’avenir. Quoiqu’au fil d’une temps et avec la curiosité, y’en avait bien une qu’était venue secrètement illuminer ma vie pitoyable : Mettre la main sur celui qui avait causé l’décès d’la mother.
D’ce que j’avais fini par savoir, l’affaire avait été classé sans suite puisque l’chauffeur d’la semi-remorque qu’avait percuté sa voiture s’était cassé ensuite sans qu’on puisse l’retrouver. L’corps du vieux avait été planté par une balle ou deux. Des faits qui m’avaient frappé lorsque j’avais fini par r’trouver l’dossier au fin fond d’l’un des nombreux casiers d’cette satanée police. C’est dès lors que j’avais commencé à m’bouger l’cul. A faire en sorte d’gagner en grade, en galon. Et mes efforts avaient payé. J’étais maintenant un sale lieutenant, mais un lieutenant quand même. Et ce rang allait m’aider.
J’en avais la ferme conviction.
- « Encore un peu et t’pourras définitivement reposer en paix. »
J’me l’étais murmuré à moi-même avant d’réajuster mon manteau qui partait un peu en couilles à cause du vent un peu trop fort. L’allait flotter, c’est certain. Vu comment il caillait, y’avait pas moyen que ça finisse pas comme ça. Putain d’journée d’merde ! J’grognai avant d’faire sortir un paquet d’clopes et l’zippo qui va avec. Y’a bien la madre qu’aimait pas ça, mais j’pouvais pas m’en empêcher. J’aurai au moins la fausse sensation d’être réchauffé, c’qui allait me maintenir encore un peu ici. L’étais que onze heure du mat’, mais l’coin s’vidait petit à petit. L’averse prochaine gâchait l’recueil des familles.
Mais y’avait une personne qui bougeait pas.
Une gamine.
La tombe d’vant laquelle elle était plantée était tout juste à côté d’celle de ma daronne. D’ailleurs, elle était là d’puis un moment. Mais elle semblait pas vouloir s’casser malgré l’temps. D’quoi m’intriguer un peu. Alors que j’tirais une taffe d’ma cigarette, j’avais clairement retourné ma gueule vers la sienne et j’la matais. J’étais pas du genre curieux d’habitude. J’étais pas du genre compatissant non plus vu toutes les crasses que j’pouvais faire aux gens. Mais pour cette fois et d’vant la vioque, j’avais un pincement au cœur. Faut croire qu’il m’restait un zeste d’humanité, quelque chose du genre…
une inspiration. entre ses doigts serrés, un bout de papier, qu'elle déplie délicatement. quelques gouttes ont fait couler l'encre sur le papier. il est tâché. froissé. abîmé. il fait moche et, serrée dans une veste recouverte d'écussons beaucoup trop grande pour elle, sa capuche sur le tête, elle pense à voix haute. papa. elle balaie la stèle du bout des doigts. les kanji disent takeda hiro. papa, dis moi. accroupie face à la pierre grise et froide, elle dépose la petite bougie - protégée dans une lanterne - juste à ses pieds.
papa, raconte moi, comment c'est là où t'es ? j'espère que y a tout ce que t'aimes dans ton éternité. sauf moi, bien sur. papa, j'suis pas sure que je viendrais te retrouver là-bas, ça doit être trop beau pour être pour moi. j'pense que je vais juste disparaître le jour de ma mort. comme ça.
elle reste fixée sur l'écriture gravée, impossible de bouger. le vent cinglant la fait vaciller, mais il ne parvient pas à la faire chavirer. au fond de son corps, elle sent la mer monter. papa, t'sais j'ai pensé à la plage l'autre fois, j'ai pensé à toi. c'est tellement loin maintenant tout ça. j'aurais aimé que tu m'y emmènes une seconde fois.
mais elle est pas sûre d'être vraiment triste. ou juste fatiguée. très fatiguée, abattue par le mois de novembre, comme tous les ans. et pourquoi, ô diable, pourquoi fait-il si froid dans ce pays ? le temps est à la grisaille et au froid. de circonstance pense-t-elle soudainement. sa conversation silencieuse laisse un goût amer dans sa bouche. et le temps continue d'empirer. tant pis, elle restera tout de même là. quitte à se faire envoler.
papa, au fond, je t'envie. moi aussi j'aimerais mourir le pied sur l'accélérateur.
elle dépose le mot sous la lanterne tremblotante. et reste encore là, les yeux dans le vague. c'est le voisin de la tombe d'à-côté qui la sort de sa torpeur, en la hélant sans même prendre des gants. et puis gamine...
elle le regarde brièvement du coin de l’œil, détaille sa tête et puis sa tenue. il a l'air con avec son grand anorak. tout guindé.
entre deux courants d'air, elle dit :
« t'es météorologue ? »
en le fixant de ses prunelles assombrie par le temps. prend une inspiration et revient sur la tombe.
« et puis, toi, t'as qu'à rentrer en premier. la pluie va pas me tuer, normalement. »
- « T’as vu ma gueule ? J’suis trop con pour être météorologue. »
M’offusquer ? Loin d’là. Dans des circonstances différentes, p’être bien. L’aurait même reçu une grosse patate au menton histoire d’lui apprendre c’que c’est que l’respect. Mais là, j’pouvais capter. J’pouvais comprendre la tristesse qu’on avait devant la tombe d’un être cher qu’elle regrettait. J’pouvais comprendre son irritation face à mon intrusion dans son recueillement. Y’avait d’quoi mal réagir et j’le concevais que trop bien. Pour une fois. P’être que j’aurai réagi pareil si ça avait été elle qu’avait interrompu ma discussion silencieuse avec ma vielle. P’être. L’Dems habituel était pas dans la place. Non, aujourd’hui, on avait juste Daichi Emilio Matheus Sato. Nippo-brésilien qu’avait perdu sa mamãe. Tout bêtement.
- « Et j’ai vu des gens crever pour moins qu’une pluie, t’peux m’croire… »
Après, l’avait pas tort la gonz. Elle va pas crever pour si peu. Ça s’trouve, c’est moi qui balise comme un con. Les gens n’aimaient p’être pas la flotte en fin d’compte. D’où l’fait qu’ils se soient tous cassés en vitesse. Je haussai alors les épaules et j’tirai sur ma cigarette que l’vent menaçait d’éteindre à tout moment. Ça faisait un bien fou quand même ! On était loin d’un bon joint, mais bon. On fait avec les moyens d’bord, hé. J’la matais pendant encore un p’tit moment, avant d’me retourner définitivement vers la tombe d’ma mère. Dire qu’elle me manquait pas serait mentir horriblement. Mon cœur se serra quelque peu, mais j’laissais rien paraitre comme d’habitude. J’avais passé l’âge de chialer.
- « D’solé pour tout ça, gamine. »
Niveau social ? Une véritable catastrophe. J’étais pas l’type qu’avait les bons mots pour encourager ou même réconforter. Même que mon mot d’excuse pouvait paraitre vague. Et il l’était vu qu’il touchait un peu à tout : L’fait que j’l’ai dérangé. L’fait qu’elle ait perdu quelqu’un d’cher. L’fait même que j’ai p’être été l’auteur du meurtre d’cette personne. Parce que oui, j’avais les mains pleines d’sang. Des types, j’en avais crevé pas mal. Et il fallait parfois ça lors d’mes missions pour l’compte d’ma faction. Tokyo, c’était pas une ville couverte de rose bonbon, d’paillettes ou envahie par des licornes et bisounours, loin d’là. En plus du vent assez fort, de grosses gouttes d’eau s’mirent à tomber progressivement.
Plus qu’une question d’secondes avant qu’une grosse averse n’s’abbate dans la zone.
elle voulait s'asseoir mais le sol était trop humide. alors elle restait accroupie dans cette position inconfortable qui engourdissait ses pieds, ses mollets, ses cuisses. en se levant, elle aurait mal. un mal de chair et un mal d'esprit. du vague à l'âme. le vent la faisait vaciller de plus belle, avide de balayer sa légère carcasse de fausse gamine.
il continuait de parler, le bougre, avec sa voix aux accents d'étrangers et ce drôle de ton qu'il prenait. ses cils s'emplissaient de la bruine. bientôt elle serait trempée et elle continuerait de rester là jusqu'à ce qu'elle sente la maladie ramper dans ses bronches. puis elle s'en irait et elle reviendrait demain, parler à son père. chercher comment on pleure.
la pluie ne ferait pas mourir nana, non. elle le savait au fond d'elle, que le jour où elle mourrait ce serait tragique et grandiose. qu'elle mourrait probablement trop jeune. qu'on dirait qu'elle était partie "avant l'heure". mais si l'on meurt, n'est-ce pas justement exactement l'heure ? sa ponctualité serait amplement respectée, même ce jour-là.
elle tournait la tête une nouvelle fois, ôtant sa capuche pour découvrir son visage et son air scrutateur. sous ses yeux, des cernes bleues-noires. ses lèvres étaient craquelées à cause du froid, et son visage bleuissait à mesure que ses vêtement se trempaient. elle se fanait. comme chaque année.
« arrête de me prendre pour une gamine s'il te plaît. »
elle le regardait fixement et la pluie tombait lourdement, ses cheveux détrempés collaient à son front. elle mentait, bien évidemment. nana ment. elle était à cet instant bien plus une enfant qu'autre chose.
« ceci dit... » dit-elle en retournant la tête vers la pierre. « c'est vrai que le ciel pleure fort. »
mais elle ne bougeait pas. tout son corps était figé parce qu'elle était complètement gelée. ses dents claquaient. ses doigts étaient bleuis. depuis combien temps est-ce que je suis là au juste ?
Que j’me suis dit en soupirant. La mort d’un proche, c’était toujours quelque chose d’atroce. Et on s’en remet parfois pas. J’sais pas trop si la gamine était tout l’temps affectée par ça, mais y’avait moyen. En attendant, j’me déplaçai vers elle avant d’retirer mon manteau pour l’foutre sur ses frêles épaules. L’était tellement grand d’ailleurs qu’il recouvrait presque sa tête un peu comme un imperméable. La petite était p’être déjà bien mouillée avec ses vêtements qui collaient à sa peau et révélaient ses formes, mais c’était pas une raison pour la laisser dans la merde comme ça. Et là encore, c’était pas le policier qui causait, mais plus l’homme. Ouais, c'était p'être fou, mais y’avait vraiment des jours comme ça…
- « On s’taille d'ici. T’reviendras plus tard si tu veux. »
Bon ok. J’lui forçais un peu p’tit peu la main là, mais y’avait clairement pas moyen que j’la laisse à son sort comme ça. Si elle était butée, on compétissait dans la même ligue, la même catégorie. J’passai donc un bras autour d’ses épaules pour me mettre à courir avec. Sauf qu’elle avait pas l’air très chaude pour. Du coup, j’la soulevai carrément dans mes bras. J’hésitai à la foutre sur l’une d’mes épaules façon sac à patates, mais au final, j’préférai la garder dans mes bras à la manière d’un « prince charmant » histoire qu’elle pense pas que j’la considérais comme d’la merde. Avec les femmes, tout pouvait aller très vite. J’voulus me précipiter vers la sortie mais vu la pluie, j’me rabattis sur un vieux temple.
Un coin qu’avait l’air abandonné depuis perpet'… Mais c’était mieux que rien.
Une fois plus ou moins à l’abri, j’posai la jeune femme sur ses jambes avant d’forcer la porte du temple d’un bon coup d’patte. Ladite porte céda facilement et j’pus voir l’intérieur pas bien glorieux : C’était un coin vide, sale, poussiéreux, mais c’était quand même un abri en attendant que la « tempête » passe. Parce que ouais, c’était dorénavant une averse de folie. L’bâtiment était vieux, certes, mais il m’semblait solide. C’était clairement pas maintenant qu’il allait s’écrouler sur nos têtes. L’destin serait quand même un enculé d’nous faire ça. Après un coup d’œil rapide dans l’coin, j’revins à l’extérieur, tout juste devant la porte, puis j’me fouillai encore une fois pour dénicher une autre clope histoire d’me mettre bien.
elle voudrait y mettre des mots, des mots sur ses maux. des larmes dans ses yeux. apprendre à pleurer, se repentir d'un deuil jamais abouti. se reprendre en main, repartir, aller de l'avant. grandir. ah ça oui, elle aimerait grandir. mais chaque année la ramène à la terre et à cette tombe grise. à ce sombre froid. il lui manque toujours quelque chose, quelque chose de plus pour y arriver. la lourdeur du manteau sur ses épaules, elle la sent à peine, l'ajoutant à la lourdeur de sa propre tristesse. ou peut-être ne sentait-elle plus rien à cause de ce froid insidieux qui la paralysait. la pluie redoublait d'intensité, ses cheveux se collaient mollement à son visage livide. l'inconnu s'était rapproché, dans une volonté de la faire bouger. mais elle était ancrée face à la Mort. elle n'émit pas un son lorsque son corps quitta le sol.
elle fut surprise, oui. mais muette. résignée en fait. elle n'avait ni la force ni la volonté nécessaire pour se défaire de l'emprise d'un tel homme. elle regardait juste en face d'elle, groggy. elle vacilla quand il la reposa au sol - ses pieds gelés trop brusquement posés au sol la lançait violemment. la douleur physique passa vite. mais ses yeux restés fixés en direction des diverses sépultures éparpillées ici et là. enfin, après quelques longues secondes de contemplation, elle poussa un énorme soupir et reporta son attention sur le voisin de la tombe d'à-côté.
« natsume. » dit-elle sur un ton neutre. ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas présentée par son prénom.
elle le jaugea du regard, de pied en cape, sans ciller. son visage de poupée fatigué lui offrait un air tragique.
« t'es pas très doué pour écouter ce qu'on te dit. »
pas un reproche, plus une constatation fatiguée. elle enfila les manche du manteau, bien trop grand pour elle. son corps entier tremblait, ses lèvres étaient bleues. elle essayait de se réchauffer mais les vêtements mouillés en dessous n'arrangeait pas son état. alors elle se tourna juste un instant, ôta ses bras des manches, retira son pull trempé, le t-shirt en dessous et referma complètement la veste.
« merci pour le manteau au fait. » dit-elle en faisant volte-face, essorant entre ses doigts le pull imbibé. « j'espère juste que t'es pas pressé de le récupérer. »
La voir s’retourner m’arracha un p’tit rictus d’circonstance. C’était pas comme si j’allais pouvoir mater quoique ce soit. Mais c’était p’être pas une raison pour qu’elle soit pas pudique comme toute meuf. J’pouvais donc la comprendre un peu. Mais n’empêche que y’avait carrément pas d’formes. Ou que j’en voyais pas du tout. Du coup, j’étais clairement pas l’type qui banderait sur elle comme un gros cochon, sans compter que l’temps s’y prêtait pas vraiment pas quoi. Et puis, même avec des idées saugrenues sorties d’nulle part, j’nous imaginais pas baiser dans un coin aussi creepy. J’étais friand d’sensations fortes, mais pas à c’point. Et surtout pas dans les parages d’la dernière demeure d’ma vieille. ‘Fin… J’partais un peu loin dans l’délire, d’autant plus qu’elle venait encore une fois d’m’adresser parole…
- « Ce s’rait bizarre d’le réclamer après t’avoir ramené ici, nan ? J’veux dire… J’t’ai pas aidé pour t’les briser après. Sois tranquille. »
J’eus un p’tit rire après un énième éclair et un deuxième tonnerre bien sourd qu’annonçait presque la couleur : L’averse allait durer pendant un bon moment. Histoire d’bien nous casser les couilles. Heureusement que j’avais demandé la permission pour aujourd’hui, sans quoi j’aurai eu d’gros problème avec Shiki. J’avais beau être un gros enculé -impression que devait avoir la gamine d’ailleurs-, que j’pouvais pas broncher devant mon patron et les hautes instances. J’allais pas faire long feu si j’faisais trop la tête brulée. L’Shinsengumi était plutôt strict, même si on en avait pas l’air pour ceux qui connaissaient. D’ailleurs, si on m’laissait faire d’grosses conneries, c’était bien parce que les factions ennemies étaient assez particulières. Parfois, il fallait combattre l’mal par l’mal. La police l’avait bien capté.
Mais en attendant, j’avais pas d’clopes sur moi là…
- « Ah ! »
C’est à c’moment là que j’me souvins que j’avais un paquet. Sauf qu’il se situait dans l’une des poches d’mon manteau. Alors comme un con et sans même penser à lui d’mander directement, j’me levai, m’approchai d’elle avant d’foutre ma main dans l’une d’mes poches latérales. Rien d’bien méchant en somme. « D’solé Nat’. Tu permets que j’t’appelle Nat’ ? Ouais, c’est plus court. Donc d'solé, j’cherche mes clopes. » Après une fouille rapide, j’dégotai enfin un paquet. Et il semblait plein. Y’a des jours où j’avais carrément l’cul bordé d’nouilles. Une fois récupéré, j’retournai à ma place, n’avant aucun problème à poser mon cul sur l’plancher poussiéreux et tout. Pour avoir vécu dans la rue, j’avais pas l’comportement d’un parvenu. J’finis par retirer une clope du paquet, avant d’actionner plusieurs fois l’briquet…
- « C’est l’un d’tes vieux ? »
Simple demande. D’toute façon, éviter l’sujet serait difficile vu l’endroit où nous étions.
En attendant, y’avait l’briquet qui voulait pas s’allumer. Chienne d’vie…