Sa voix vrombit dans mes oreilles. Comme si ses cordes vocales faisaient offices de basses, le son semble vibrer, ricocher contre les murs grisâtres. De belles notes, graves, qui traversent l'air pour me parvenir. « Prends rendez-vous pour moi chez... » Parle-moi. Dis-moi quelque chose. Je le pense, sans oser le dire. Bien qu'effectivement, d'un point de vue strictement logique, mon mari soit bel et bien en train de s'adresser à moi, il esquive soigneusement le sujet initial. Il s'affaire à resserrer le nœud de sa cravate, sans me jeter le moindre regard, puis se retourne enfin vers moi en attente de ma réponse. Et le moment me semble opportun. Un sourire, plein d'hésitations, de doutes, naît et étire si légèrement mes lèvres roses.
« Souhaites-tu savoir si nous attendons une petite fille ou un petit garçon ? »
Nous. Le mot me gifle. Une violente claque, si forte que les ongles du destin griffent ma joue en passant. Mes yeux s'arrondissent, dans la stupeur, alors que je porte une main tremblante à mon visage. Ce n'est pas le destin. Son regard, froid, mord ma peau. Et ses paroles, avant qu'il ne disparaisse encore au tournant d'un couloir de l'entrée, me surprennent. Elles sont plus douloureuses que cette malheureuse gifle. C'en est risible.
« Louisette, tais-toi. »
Ce n'est pas son enfant. Je le sais. Une part de moi souffre, une autre console la première en l'emmenant se baigner dans cet océan toujours plus sombre. L'eau, bientôt, sera vermillon. Les larmes roulent sur mes joues, y formant de longs sillons salés, pourtant mon sourire persiste. Il y a un moyen de tout réparer. Un moyen que je ne connais pas, certes, mais ignorer son existence ne veut pas dire qu'il n'existe pas pour autant. Je sens cet étau de fer se saisir de mon cœur, alors que j'entends le moteur de la voiture s'allumer au-dehors. Mes pas me portent jusqu'à la hauteur d'une fenêtre, et je pousse à peine le rideau pour voir le véhicule sortir de notre allée. Depuis quelques jours, il ne part plus à pied, comme s'il ne voulait pas m'offrir la vue de son dos plus longtemps. Sa silhouette s'engouffre, chaque matin, dans cette voiture gris anthracite, et disparaît comme un mirage.
Tout va bien, maman est là., est tout ce que j'arrive à penser, en passant par instinct la main précédemment sur ma joue sur mon ventre à peine déformé par la vie qu'il abrite. J'ai peur. Peur que rien ne change, peur que tout ne fasse jamais que se répéter. Peur qu'à force de ne pas l'aimer, il finisse par haïr cet enfant, pourtant blanc comme neige. C'est ma faute... Je porte le poids de mon erreur. Depuis ce jour, depuis que nous avons apprit pour cet événement, mon ventre semble porter la grenade, prête à éclater d'un instant à l'autre. A éclater, et dévaster l'illusion tant aimé.
Pourtant, ce petit être n'est responsable de rien. Mollement, je m'éloigne de la fenêtre alors que la voiture sort de mon champ de vision. Il faut que je m'habille, et m'occupe de la maison avant d'aller au travail. Je m'y attelle donc, comme le fantôme que je suis. Chaque jour, la même routine. Chaque jour, si bien que je pourrais me penser médium de ce futur toujours répété. Cette boucle infinie, enchevêtrée autour de nos corps, nous retient inlassablement. Et à chaque fois que nous nous effleurons, nous constatons que le ruban autrefois si doux est à présent jonché de ronces. Je vais trouver un moyen, mon amour. Maman construira un monde pour toi, s'il le faut.
Et la force me revient, à la simple idée qu'il existe. Ce péché, je l'aime à en mourir, à en perdre l'esprit. Et je le protégerai contre vents et marées. Avec un peu d'hésitation à nouveau, je caresse la surface si imperceptiblement arrondie. Je le ressens, comme quelque chose d'évident. Je sais ce que tu es.
« Tu es une petite fille, n'est-ce pas ? C'est ce que tu veux me dire ? »
L'idée que cette petite masse de cellules m'entende adoucit la torture. J'ai quelqu'un à qui parler. Quelqu'un m'écoute, s'accoutume au son de ma voix. Quelqu'un m'écoute. Une fois le ménage fait, je ne tarde pas à m'habiller pour aller au travail. En franchissant le pas de la porte d'entrée, ma tête se tourne par habitude vers la direction qu'à prit la voiture. Une part de moi espère la voir paraître à nouveau. Pourtant, ce n'est jamais la bonne voiture qui tourne à l'angle pour passer dans la rue. Je retourne la tête dans la direction, opposée, que je dois prendre. A ce soir, chéri., roule dans mes pensées aux bords flous.
La journée défile comme un livre d'images. Jamais une toile plus claire ou sombre que les autres, comme si tout suivait un ordre bien précis. A nouveau, la personnage âgée dont je m'occupe me félicite pour le "joyeux événement", et je souris. Encore une journée à jeter les yeux sans cesse sur les miroirs, à espérer que notre malheur ne transparaisse jamais. Le rouge, sous le rose, a perdu en intensité, mais ma joue semble s'égosiller qu'ils peuvent voir. Qu'un jour, quelqu'un s'en rendra compte. Pourtant, ça ne regarde que nous. En refermant la porte derrière moi, après avoir lancé un « Au revoir ! » faussement énergique à la vieille dame, je me dis encore que personne ne doit savoir. Comme une fleur toujours close à l'été approchant, je me rassure en me disant que les rayons de l'astre diurne nous donneront la force de fleurir à nouveau, tôt ou tard.
Mes pieds avancent d'eux-même, sur ce chemin que je prends chaque soir. Un automatisme. Le regard posé sur mon téléphone portable, je relis les quelques messages échangés avec monsieur Ishii. La mélancolie fait légèrement tomber le rideau de mes paupières sur mes perles bleues. Les fais attention sur la route et les je t'aime ne sont que tout en haut des conversations. A chaque fois que mon téléphone décide de se mettre en veille, je dois remonter ce flot de banalités pour revenir à la douceur qui, je le sais, finira par disparaître. L'historique blanchira, et il ne restera plus que ces éléments épars, comme des choses à rajouter à notre liste de courses mensuelles. Et je m'illusionne encore, paramétrant le petit appareil pour que les messages restent un peu plus longtemps. Ne disparaissez pas. Je veux me souvenir.
Et c'est le sursaut. Un grand sursaut, comme un troupeau de battements de cœur manqués. Des bras m'enveloppent. L'odeur de l'alcool agresse mes narines, alors que je tourne brusquement la tête. Et la peur revient à l'assaut, faisant frapper mon sang à mes tempes jusqu'à la migraine. Mes bras tentent de repousser l'inconnu qui m'étreint. Pourtant, cette même étreinte n'a rien d'offensive. Et je m'immobilise alors que la voix me parvient. De belles notes, une étrangeté à m'en faire frissonner d'effroi. Ce cocktail de sensations singulières, pourtant, résulte déjà sur l'adrénaline de la sécurité.
« S’il vous plaît, restez ainsi. J’ai juste besoin d’une présence, d’un réconfort. J’ai besoin d’amour, d’être aimé. »
Être aimé. Mes yeux s'arrondissent, pourtant déjà moins en amande que ceux de la populace asiatique. Les deux perles se dévoilent, traversées par un éclat à l'allure désespérément tendre. Le flash d'une lampe de poche dans une forêt à l'allure de prison boisée. Je dois répondre à ces mots. Pourtant j'ignore comment. Mon téléphone toujours dans la main, je l'y serre, pressant la coque blanche contre ma paume moite. Mes doigts, petits et fins, s'écrasent contre la matière que l'on souhaite résistante, alors que j'avale ma salive. Le liquide se plaque aux parois de ma gorge, lourd comme s'il portait avec lui cette peur que les choses tournent au vinaigre. Et, par instinct, les paroles accompagnent les pensées. Mes mains, même celle close, viennent se poser contre le dos de l'étranger, dessinant très vaguement la forme de ses omoplates cachées sous le tissu. Et je caresse, longuement, prenant le temps de la longueur du Nil. Les notes de ma voix à l'accent français, douces, s'enivrent pour leur part de la liqueur de la compassion.
« Là, là... Tout va bien. »
Ivre. L'homme aux cheveux mi-longs est parfaitement ivre. Plus grand, plus épais, sa carrure est impressionnante. Un grand japonais, c'est une denrée rare. Mais ce n'est mi le premier ni le deuxième détail qui me surprend le plus. La couleur de ses cheveux, dans la lumière du jour descendant, danse dans une palette de couleurs. Vermillon. Non, ils sont plutôt... Auburn. La sur-luminosité trompe mes yeux. Une jolie couleur, qui s'associe à son teint légèrement hâlé, encore moins commun. Sans plus perdre de secondes à l'observer, le détailler avec gentillesse, je perds les yeux çà et là pour m'assurer que le peu que je puisse voir n'est pas blessé. Avec les gangs, même dans ces rues gardés par les citoyens exaspérés, indignés par la violence, le risque n'est pas nul. A premier abord, il ne semble pas souffrir, si ce n'est de l'étourderie d'un homme saoul. Je le repousse, gentiment, après une poignée de secondes. De longues secondes, comme si mon sablier d'habitude déjà si lent, avait prit encore d'avantage son temps pour appuyer l'atypie de la situation. L'une de mes mains restent dans son dos, pendant que l'autre s'affaire à remettre mon téléphone dans mon sac à main. Je préfère avoir les deux mains disponibles, s'il faut qu'il trébuche par accident.
« Venez. Allons nous asseoir. Il y a un banc, là-bas. »
Je l'y emmène, démarrant d'un pas lent la marche vers le banc. Proche, mais il me paraît loin, certainement à cause de la peur que l'homme s'effondre. En arrivant enfin à hauteur du support, j'accompagne l'homme ivre pour qu'il s'y pose, et m'y installe enfin à mon tour. Par instinct, l'une de mes mains vient se poser sur mon ventre, plutôt que sur mon cœur pourtant palpitant. Et le sourire renaît de ses cendres. Aimer, à m'en noyer dans le flot. Des larmes, c'est le miel de la gentillesse qui suinte de mes pores, alors que je tourne la tête vers l'inconnu. Aimer, c'est la raison pour laquelle je vis.
« Comment vous sentez-vous ? »
Un nouveau sursaut, plus petit, plus discret. Et, reportant le regard sur mon sac à main, j'y engloutit l'une d'elle. Une bouteille d'eau. Une fois le récipient récupéré, je le tends vers l'homme adulte dans un nouveau sourire. A force de boire, il risque de souffrir d'une migraine plus terrible encore que celle que la frayeur m'a provoqué. Une migraine disparue aussi vite qu'elle était venue, terrassée par ma maîtrise de moi-même. Je connais ce genre de situation, d'une certaine façon. L'image de mon mari fait à nouveau son chemin dans le miasme de mes pensées écrasées les unes contre les autres. Combien de fois lui ai-je tendu un verre d'eau, en lui demandant de le boire puis d'aller se reposer, alors qu'il revenait tard et ivre du travail ? Il tentait de noyer notre peine. Son chagrin. Je chasse son visage, le rentrant dans la case qui est la sienne et dans laquelle je sais que je peux l'aimer encore.
« Tenez. Buvez. Ce n'est que de l'eau, mais l'alcool a du vous déshydrater. Vous devriez boire un peu, ou vous allez avoir mal à la tête. »
« Souhaites-tu savoir si nous attendons une petite fille ou un petit garçon ? »
Nous. Le mot me gifle. Une violente claque, si forte que les ongles du destin griffent ma joue en passant. Mes yeux s'arrondissent, dans la stupeur, alors que je porte une main tremblante à mon visage. Ce n'est pas le destin. Son regard, froid, mord ma peau. Et ses paroles, avant qu'il ne disparaisse encore au tournant d'un couloir de l'entrée, me surprennent. Elles sont plus douloureuses que cette malheureuse gifle. C'en est risible.
« Louisette, tais-toi. »
Ce n'est pas son enfant. Je le sais. Une part de moi souffre, une autre console la première en l'emmenant se baigner dans cet océan toujours plus sombre. L'eau, bientôt, sera vermillon. Les larmes roulent sur mes joues, y formant de longs sillons salés, pourtant mon sourire persiste. Il y a un moyen de tout réparer. Un moyen que je ne connais pas, certes, mais ignorer son existence ne veut pas dire qu'il n'existe pas pour autant. Je sens cet étau de fer se saisir de mon cœur, alors que j'entends le moteur de la voiture s'allumer au-dehors. Mes pas me portent jusqu'à la hauteur d'une fenêtre, et je pousse à peine le rideau pour voir le véhicule sortir de notre allée. Depuis quelques jours, il ne part plus à pied, comme s'il ne voulait pas m'offrir la vue de son dos plus longtemps. Sa silhouette s'engouffre, chaque matin, dans cette voiture gris anthracite, et disparaît comme un mirage.
Tout va bien, maman est là., est tout ce que j'arrive à penser, en passant par instinct la main précédemment sur ma joue sur mon ventre à peine déformé par la vie qu'il abrite. J'ai peur. Peur que rien ne change, peur que tout ne fasse jamais que se répéter. Peur qu'à force de ne pas l'aimer, il finisse par haïr cet enfant, pourtant blanc comme neige. C'est ma faute... Je porte le poids de mon erreur. Depuis ce jour, depuis que nous avons apprit pour cet événement, mon ventre semble porter la grenade, prête à éclater d'un instant à l'autre. A éclater, et dévaster l'illusion tant aimé.
Pourtant, ce petit être n'est responsable de rien. Mollement, je m'éloigne de la fenêtre alors que la voiture sort de mon champ de vision. Il faut que je m'habille, et m'occupe de la maison avant d'aller au travail. Je m'y attelle donc, comme le fantôme que je suis. Chaque jour, la même routine. Chaque jour, si bien que je pourrais me penser médium de ce futur toujours répété. Cette boucle infinie, enchevêtrée autour de nos corps, nous retient inlassablement. Et à chaque fois que nous nous effleurons, nous constatons que le ruban autrefois si doux est à présent jonché de ronces. Je vais trouver un moyen, mon amour. Maman construira un monde pour toi, s'il le faut.
Et la force me revient, à la simple idée qu'il existe. Ce péché, je l'aime à en mourir, à en perdre l'esprit. Et je le protégerai contre vents et marées. Avec un peu d'hésitation à nouveau, je caresse la surface si imperceptiblement arrondie. Je le ressens, comme quelque chose d'évident. Je sais ce que tu es.
« Tu es une petite fille, n'est-ce pas ? C'est ce que tu veux me dire ? »
L'idée que cette petite masse de cellules m'entende adoucit la torture. J'ai quelqu'un à qui parler. Quelqu'un m'écoute, s'accoutume au son de ma voix. Quelqu'un m'écoute. Une fois le ménage fait, je ne tarde pas à m'habiller pour aller au travail. En franchissant le pas de la porte d'entrée, ma tête se tourne par habitude vers la direction qu'à prit la voiture. Une part de moi espère la voir paraître à nouveau. Pourtant, ce n'est jamais la bonne voiture qui tourne à l'angle pour passer dans la rue. Je retourne la tête dans la direction, opposée, que je dois prendre. A ce soir, chéri., roule dans mes pensées aux bords flous.
La journée défile comme un livre d'images. Jamais une toile plus claire ou sombre que les autres, comme si tout suivait un ordre bien précis. A nouveau, la personnage âgée dont je m'occupe me félicite pour le "joyeux événement", et je souris. Encore une journée à jeter les yeux sans cesse sur les miroirs, à espérer que notre malheur ne transparaisse jamais. Le rouge, sous le rose, a perdu en intensité, mais ma joue semble s'égosiller qu'ils peuvent voir. Qu'un jour, quelqu'un s'en rendra compte. Pourtant, ça ne regarde que nous. En refermant la porte derrière moi, après avoir lancé un « Au revoir ! » faussement énergique à la vieille dame, je me dis encore que personne ne doit savoir. Comme une fleur toujours close à l'été approchant, je me rassure en me disant que les rayons de l'astre diurne nous donneront la force de fleurir à nouveau, tôt ou tard.
Mes pieds avancent d'eux-même, sur ce chemin que je prends chaque soir. Un automatisme. Le regard posé sur mon téléphone portable, je relis les quelques messages échangés avec monsieur Ishii. La mélancolie fait légèrement tomber le rideau de mes paupières sur mes perles bleues. Les fais attention sur la route et les je t'aime ne sont que tout en haut des conversations. A chaque fois que mon téléphone décide de se mettre en veille, je dois remonter ce flot de banalités pour revenir à la douceur qui, je le sais, finira par disparaître. L'historique blanchira, et il ne restera plus que ces éléments épars, comme des choses à rajouter à notre liste de courses mensuelles. Et je m'illusionne encore, paramétrant le petit appareil pour que les messages restent un peu plus longtemps. Ne disparaissez pas. Je veux me souvenir.
Et c'est le sursaut. Un grand sursaut, comme un troupeau de battements de cœur manqués. Des bras m'enveloppent. L'odeur de l'alcool agresse mes narines, alors que je tourne brusquement la tête. Et la peur revient à l'assaut, faisant frapper mon sang à mes tempes jusqu'à la migraine. Mes bras tentent de repousser l'inconnu qui m'étreint. Pourtant, cette même étreinte n'a rien d'offensive. Et je m'immobilise alors que la voix me parvient. De belles notes, une étrangeté à m'en faire frissonner d'effroi. Ce cocktail de sensations singulières, pourtant, résulte déjà sur l'adrénaline de la sécurité.
« S’il vous plaît, restez ainsi. J’ai juste besoin d’une présence, d’un réconfort. J’ai besoin d’amour, d’être aimé. »
Être aimé. Mes yeux s'arrondissent, pourtant déjà moins en amande que ceux de la populace asiatique. Les deux perles se dévoilent, traversées par un éclat à l'allure désespérément tendre. Le flash d'une lampe de poche dans une forêt à l'allure de prison boisée. Je dois répondre à ces mots. Pourtant j'ignore comment. Mon téléphone toujours dans la main, je l'y serre, pressant la coque blanche contre ma paume moite. Mes doigts, petits et fins, s'écrasent contre la matière que l'on souhaite résistante, alors que j'avale ma salive. Le liquide se plaque aux parois de ma gorge, lourd comme s'il portait avec lui cette peur que les choses tournent au vinaigre. Et, par instinct, les paroles accompagnent les pensées. Mes mains, même celle close, viennent se poser contre le dos de l'étranger, dessinant très vaguement la forme de ses omoplates cachées sous le tissu. Et je caresse, longuement, prenant le temps de la longueur du Nil. Les notes de ma voix à l'accent français, douces, s'enivrent pour leur part de la liqueur de la compassion.
« Là, là... Tout va bien. »
Ivre. L'homme aux cheveux mi-longs est parfaitement ivre. Plus grand, plus épais, sa carrure est impressionnante. Un grand japonais, c'est une denrée rare. Mais ce n'est mi le premier ni le deuxième détail qui me surprend le plus. La couleur de ses cheveux, dans la lumière du jour descendant, danse dans une palette de couleurs. Vermillon. Non, ils sont plutôt... Auburn. La sur-luminosité trompe mes yeux. Une jolie couleur, qui s'associe à son teint légèrement hâlé, encore moins commun. Sans plus perdre de secondes à l'observer, le détailler avec gentillesse, je perds les yeux çà et là pour m'assurer que le peu que je puisse voir n'est pas blessé. Avec les gangs, même dans ces rues gardés par les citoyens exaspérés, indignés par la violence, le risque n'est pas nul. A premier abord, il ne semble pas souffrir, si ce n'est de l'étourderie d'un homme saoul. Je le repousse, gentiment, après une poignée de secondes. De longues secondes, comme si mon sablier d'habitude déjà si lent, avait prit encore d'avantage son temps pour appuyer l'atypie de la situation. L'une de mes mains restent dans son dos, pendant que l'autre s'affaire à remettre mon téléphone dans mon sac à main. Je préfère avoir les deux mains disponibles, s'il faut qu'il trébuche par accident.
« Venez. Allons nous asseoir. Il y a un banc, là-bas. »
Je l'y emmène, démarrant d'un pas lent la marche vers le banc. Proche, mais il me paraît loin, certainement à cause de la peur que l'homme s'effondre. En arrivant enfin à hauteur du support, j'accompagne l'homme ivre pour qu'il s'y pose, et m'y installe enfin à mon tour. Par instinct, l'une de mes mains vient se poser sur mon ventre, plutôt que sur mon cœur pourtant palpitant. Et le sourire renaît de ses cendres. Aimer, à m'en noyer dans le flot. Des larmes, c'est le miel de la gentillesse qui suinte de mes pores, alors que je tourne la tête vers l'inconnu. Aimer, c'est la raison pour laquelle je vis.
« Comment vous sentez-vous ? »
Un nouveau sursaut, plus petit, plus discret. Et, reportant le regard sur mon sac à main, j'y engloutit l'une d'elle. Une bouteille d'eau. Une fois le récipient récupéré, je le tends vers l'homme adulte dans un nouveau sourire. A force de boire, il risque de souffrir d'une migraine plus terrible encore que celle que la frayeur m'a provoqué. Une migraine disparue aussi vite qu'elle était venue, terrassée par ma maîtrise de moi-même. Je connais ce genre de situation, d'une certaine façon. L'image de mon mari fait à nouveau son chemin dans le miasme de mes pensées écrasées les unes contre les autres. Combien de fois lui ai-je tendu un verre d'eau, en lui demandant de le boire puis d'aller se reposer, alors qu'il revenait tard et ivre du travail ? Il tentait de noyer notre peine. Son chagrin. Je chasse son visage, le rentrant dans la case qui est la sienne et dans laquelle je sais que je peux l'aimer encore.
« Tenez. Buvez. Ce n'est que de l'eau, mais l'alcool a du vous déshydrater. Vous devriez boire un peu, ou vous allez avoir mal à la tête. »
notes ; Et voilà la réponse ! ~