22 Septembre, 04h01
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La nuit est l’aurore des sévices
Et au calme du sommeil
Se substitue l’agitation de la haine.
marche, lui dit-il ; et l'enfant regarda son maitre comme si c'était l'imbécile.
Rinne a les yeux dans le vague. Une soirée de plus à écumer ses pensées en l’attente d’une clientèle quelconque. Pas de la solitude, presque de l’ennui. Elle joue entre ses doigts de l’entrelacement d’un élastique et d’une barrette pour cheveux. Parfois l’objet tombe et un cliquetis racle la surface silencieuse de sa caisse. Rinne file entre ses lèvres quelque murmures de chansons, du yaourt pour oreille, rien qu’un vrombissement étouffé. La caméra du konbini est son seul adversaire, et parfois son regard glisse sur elle.
Tout est si calme ; je crois.
Même ta propre vie te paraît si loin, perdues dans les dédales des heures qui se meurent. Nous ne sommes jamais vraiment nous-mêmes ; parce que nos êtres sont multiples. Rinne est Rinne. Rinne est Rhyme. Rhyme est Riné. Riné est Rhyme. Riné est Rinne. Tu as choisis d’y apposer des noms quand d’autres, plus aveugles, ou peut-être moins attentifs, fondent sans le savoir leurs nombreuses identités dans des glissements progressifs.
A 16h, Mr. X est de bonne humeur. Il dira bonjour à la boulangère d’un air poli mais radieux ; rajoutera à la simplicité un peu de fioriture ; du baume pour les cœurs alourdis. A 23h, Mr.X sera mélancolique. Un poids anonyme balancera contre ses côtes un peu de douleur. Il sentira sur l’aurée de ses yeux un peu d’écume ; comme une envie de pleurer qui lui arrachera un pincement, de lèvres. Il ira fumer une cigarette non loin de sa fenêtre ; et froncera les sourcils. Lorsque son ami appelera sur son cellulaire, une voix rauque et véhémente décrochera l’appareil. Ses mots seront sans formes, ou alors celles des couteaux, et il n’y aura pas d’amour pour polir leurs accents.
Un jour prochain, Mr. X sera de bonne humeur ; mais la lassitude teintera son cachet : les fioritures auront cette fois-ci l’ardeur du désintéressement ; et ses ponctuations heureuses, pour seul destinataire sa propre personne.
Nous ne sommes
Jamais vraiment nous-mêmes.Café, clope. Sa main s’aplatie, donne une enveloppe charnelle à la décision tout juste prise.
Quand du ventre monstrueux citadin, se recrache une bête.
Elle pénètre l’espace d'un vacarme verbeux ; d’objets qui s’écroulent, et de sang qui suinte. Rinne a la tête tourné et les yeux qui s’écartent ; ses orbites les repoussent en des billes d’onyx qui ont fondu en eux l'angoisse et l'alerte, perplexe.
Un gant ruisselant gagne le coté de sa main ; celle que l’enfant-femme a figé (sans même le réaliser).
« Téléphone. Ca doit téléphoner.
Vite, ça doit téléphoner. »
La voix est insalubre, comme le reste de son corps. Il y a quelque chose qui n’est pas humain ; elle ne sait pas quoi. Le visage face à elle n’en est pas un. Mais du masque ou du faux semblant, qui est le plus réel ? Rinne ne recule pas ; Rinne ne frémit pas. Elle est suspendue pour que ses synapses s’activent.
Brusquement ; fait volte face, détourne sa caisse, sort son propre portable. Arrivée devant lui ; la menotte lui tends. L’objet du désir – Début à contretemps.
« Téléphone si tu dois téléphoner. Mais suit-moi. »
Sa main enfourche le bras maculé ; sa peau blanche est à présent colorée. L’arrière boutique. Il est 4h01. Tant pis. Rinne active d’un coup sec les grilles inactives : pour une des premières fois, le Konbini endormi.
Arrivée dans la pièce exigue, de rangements et de quelques chaises attablées lestement ; Rinne se retourne vers lui, désigne une assise.
« Pose-toi-là. Tu ne vas pas rester comme ça. »
Rinne est nulle en secours. Mais il y a de quoi faire dans la pièce attenante. Elle récupère des compresses, et tandis que son corps s’accroupie, quelques tremblements libèrent l’incompréhension qui tétanise ses paupières. Du sang. Beaucoup de sang. Beaucoup trop. Et cette voix. Diction.
Qui es-tu, maintenant ?Revenue à tes pieds, l’adulescente a sortie des bandages qu’elle déplie comme la traine d’une mariée. Elle coupe méticuleusement des sections qui s’effilochent du bout de ses mains – pas douées.
« Je n’ai pas d’oreilles, je n’entends rien. Les murs sont sourds et les caméras sont en veille. Je ne relèverai pas la tête si tu ne veux pas garder ce que tu as sur la tienne. »
Moi ; je ne veux rien savoir — parce que je ne t'offre rien de plus que ce que je sais donner.Rinne te voit
Et à ton travers
Comme l’allégorie fantasmagorique de cette nuit d’hiver.
Là où tout s’est écroulé.
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